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Anny Duperey, une plume de poids

Anny Duperey, une plume de poids

25 January 2013 | PAR Yaël Hirsch

Alors qu’elle sera bientôt sur les planches de la Comédie des Champs-Elysées pour interpréter, fidèle à Giraudoux depuis que la Guerre de Trois l’a révélée au grand public au début des années 1970, la Folle de Chaillot, Anny Duperey est un cas d’étude pour notre dossier “face B“. Si tout un chacun connaît la jolie brune aux yeux violets pour son rôle de Catherine Beaumont, qu”elle incarne depuis plus de 20 ans sur TF1 dans “Une famille formidable”, certains savent peut-être moins qu’Anny Duperey a publié plus de 20 romans dont les chiffres de ventes peuvent dépasser les 200 000 exemplaires.

L’on connaît donc la matriarche rassurante que suivent les français sur TF1 depuis 20 ans. L’on connaît aussi la belle femme de Bernard Giraudeau, mère de deux enfants. Etudiante entres autres de Jean-Louis Barrault, Anny Duperey a été révélée comme actrice après , entre autres, un passage par le cours Simon dans la pièce de Giraudoux “La Guerre de Troie n’aura pas lieu”. Femme de théâtre, elle devient également égérie de cinéma pour Jean-Luc Godard, Michel Deville, Henri Verneuil, Sydney Pollack, Philippe de Broca, Costa-Gavras ou Alain Resnais à qui elle rend hommage dans son dernier film “Vous n’avez encore rien vu“. Nominée aux césars pour son rôle culte dans “Un éléphant ça trompe énormément”(1976), Anny Duperey est aujourd’hui la figure de belle aïeule mobilisable par les comédies françaises, comme “L’amour dure trois ans“.

Mais ce que certains télévores ou cinéphiles savent moins, c’est que depuis les années 1990, la grande carrière artistique d’Anny Duperey passe par le fil de la plume. Elle publie son premier roman “L’admiroir”, en 1976. Un roman salué par le prix Alice barthou de l’Académie Française. Mais la belle brune attend que ses enfants soient grands pour rouvrir des vieux placards de l’histoire familiale à cette époque et revenir sur le décès accidentel de ses deux parents, asphyxiés au monoxyde de carbone dans la salle-de bain défectueuse de leur pavillon. Orpheline et séparée de sa soeur à 8 ans,  Annie  Legras (son vrai nom, elle choisira celui de sa grand-mère pour la scène) refoule cette perte pendant près de 40 ans derrière un “Voile noir” (Seuil, 1992). “Le Voile Noir”, c’est le titre du troisième roman d’inspiration autobiographique d’Anny Duperey et qui la fait véritablement connaître comme auteure.  Les lecteurs sont tellement bouleversés  par la manière dont l’artiste soulève délicatement ce voile et par l’autopsie qu’elle en propose, pas à pas, avec toute l’authenticité d’une démarche en train de se faire, que la comédienne adoubée écrivaine se sent portée. Elle décide pour l’opus suivant de  continuer de pratiquer l’ouverture et le dialogue en publiant dans “Je vous écris” les lettres qu’elle a reçues à l’occasion de la sortie du “Voile noir” et les réponses qu’elle aimerait donner à ces missives. Depuis, les succès de librairie se succèdent, à rythme régulier et aux très prestigieuses éditions du Seuil.

Comment Anny Duperey est-elle passée de la face comédienne à la face auteure? Elle-même dit avoir toujours écrit… Et s’être un jour lancée par la littérature dans la quête de son passé. Mais le mouvement n’est pas si simple ni direct, puisque le “Voile noir” passe par le détour de la photographie. C’est en effet en épluchant finalement les clichés de son père disparu si tôt, le photographe de renom Lucien Legras, qu’Anny Duperey (qui a elle-même hésité entre le conservatoire et les Beaux Arts et même commencé les deux à l’adolescence) a écrit et décrit tout ce qu’elle avait oublié et refoulé dans son troisième roman et premier best-seller. Le lien entre la face A de la comédie et la face B de l’écriture semble alors passer par un troisième sillon : la lumière qui révèle, au sens plein et entier du mot. Artiste accomplie, Anny Duperrey dépasse les deux dimensions du vinyle pour atteindre la terre promise d’une harmonie entre les arts.

Les comédiens- du moins ceux du ‘genre’ auquel j’appartiens- ressentent impérativement le besoin du masque. Même, et dans mon cas SURTOUT, en écrivant. Se servir de soi, de tout en soi, certes, mais ne pas donner les clés… Il s’agit là, bien au-delà de la pudeur ou de la discrétion, de la sauvegarde d’une intégrité personnelle alors que tout le reste est offert aux regards ou aux jugements. Quelle nécessité me pousserait donc, moi qui gardais si farouchement jusque-là mon image publique à l’écart de mes faiblesses, à écrire autour de l’évènement qui a marqué mon enfance ? ” Anny Duperey, Le Voile noir, Point Seuil,  p. 17.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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