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Barbara, sombre tragédienne, femme fatale et sensuelle

Barbara, sombre tragédienne, femme fatale et sensuelle

08 March 2013 | PAR Camille Hispard

La dame brune bien connue pour son côté sombre et mystérieux se révèle à travers son répertoire être la femme amoureuse absolue, brisée mais passionnée, dévouée, mais pas de celles qui meurent de chagrin.

Ah, le mythe de la femme fatale ! Sublime idéal suspendu dans une féminité suprême et puissante qui s’abat comme un couperet sur la cible de ses envies. Résister à l’envie de céder à cette femme que l’on trouve sur notre chemin serait vain puisque toute la fatalité de ses charmes qui se meuvent dans son ventre ne ferait que nourrir un peu plus son appétit ardent.

Cette femme est-elle belle, plantureuse, provocatrice, un brin sauvage ? Sûrement… Même si lorsqu’on sait que Britney Spears a baptisé son dernier album “Femme Fatale“, on peut émettre des réserves quant à la possibilité d’une définition généraliste de ce terme. La beauté ne repose que sur très peu de choses finalement.

Mais quoi de plus beau que le mystère, la femme qu’on voit mais qu’on ne sait pas. Qui passe comme un courant d’air, qu’on parvient à peine à sentir ou à toucher. Une faille dans le regard qui semble taire une profonde cassure. De quoi vous briser un cœur avant même de l’avoir cueilli. Une sombre lumière bancale. Un rocking’ chair abandonné : Barbara. Quoi de plus femme que l’insaisissable dame noire aux yeux de biche. Quoi de plus fatal que ses chansons blessées, dont son souffle saccadé vient magiquement troubler l’oreille.

Selon notre ami Wikipédia, “les femmes fatales ont aussi incarné des antihéroïnes dans certaines histoires, ou se repentent pour devenir des héroïnes à la fin du récit.” A ses débuts Barbara n’était pas destinée à devenir l’héroïne à la fin de l’histoire. Un physique atypique parait-il, doublé d’une aversion pour la confidence journalistique. Lors d’une interview datant de 1967 et extraite de l’ émission Discorama, Denise Glaser interroge Barbara sur la peur qu’elle peut provoquer chez les autres : “Ils ont peur de vous aborder, peur de votre allure, de votre physique, de votre lucidité”. Ce à quoi la fatale gracieuse répondra : “C’est un physique qui est étranger à beaucoup de gens et qui a dérangé.”

Déranger, déstabiliser, n’est ce pas là la plus grande chance de finir par intriguer, par attirer. Et Barbara en a attiré plus d’un dans sa vie, dans son œuvre, dans son lit. Des hommes. “Je cherche un homme, un homme qui ressemble à un homme” lache-t-elle audacieuse et fière dans la chanson Toi l’homme. Et puis le couperet tombe fatal et sans équivoque quelques vers plus loin :

“J’en ai connu plusieurs,

Que le soir nous apporte,

Et qu’au petit matin,

Tristes, l’on reconduit,

Jusqu’au seuil de sa porte,

J’en ai connu plusieurs,

Mais le vent les emporte,

Ils font de ma maison,

Plus triste qu’un automne,

Un jardin d’amours mortes.”

Elle en a connu, les a chanté avec légèreté dans Les Mignons, avec domination dans Mes hommes, avec mélancolie dans D’elle à lui et déchirée dans Dis quand reviendras-tu? Elle a osé la sensualité, les évocations indécentes comme dans Mes insomnies lorsqu’elle entonne “J´en ai connu des grands, des beaux, des bien bâtis, des gentils qui venaient pour me bercer et combattre mes insomnies […] A force de compter les moutons qui sautent dans mon lit, j´ai un immense troupeau qui se promène dans mes nuits.” Sa solitude comme seule véritable compagne, Barbara n’a eu de cesse d’influencer des hommes, de les porter. Jacques Brel, Georges Moustaki, Richard Galliano, Serge Reggiani, Roland Romanelli…Tous ont croisé son sillon. S’y sont frottés. Voire parfois piqués. Vivre pour écrire, écrire pour vivre. Barbara disait qu’elle n’était pas poète mais qu’elle se nourrissait de ce qu’elle vivait, de ses chansons d’amour, et de ses chansons de femme avant tout. Lorsque le journaliste Roger Louis demande à la dame en noir quelle est son attitude vis à vis des hommes elle répond avec un sourire malicieux plein de défiance : “Je les aime…Beaucoup. Je les admire, ils m’ont faite. Ils ont beaucoup d’importance.” Elle ajoute pourtant juste après que “ce sont les femmes qui accouchent les hommes”. Une ambivalence qui souligne la tendresse tranchante de ses relations. Barbara, tragédienne au costume sombre qu’on imagine toujours en noir et blanc. Sans compromission, manichéenne des passions. “En rouge et noir” dirait Jeanne Mas.

Bashung la décrivait ainsi : “elle était précurseur, moderne, très intimidante, glaçante. Elle pouvait incarner aussi bien la jeune fille sage et austère que la prostituée qui fait ce qu’elle veut de ses amants.” C’est à travers son répertoire que Barbara nous parle de ses hommes qui passent dans sa vie, ses hommes qui l’ont construite, qui ont nourri son art, son âme. Dans le Télérama Hors Série intitulé “Il y a quinze ans, Barbara, Notre plus belle histoire d’amour“, Jean-Marie Laclavetine écrit : “Quand elle entamait sa ritournelle devant un parterre enchanté, frères et sœurs de la pénombre vous avez cru qu’elle nous inventait, nous, ses hommes, par pudeur, afin de masquer la solitude qui partout lui faisait escorte, vous étiez certains qu’elle s’imaginait une cour, un harem pathétique, elle qui se présentait toujours esseulée, notre veuve blanc et noir, consentante, livrée face à vous, les bras tendus, le regard fixe. Ah ! ce regard qu’elle vous fichait au front avant que vous ne vous jetiez sur elle pour la dépecer d’amour, persuadés qu’elle était sans défense, persuadés qu’elle nous avait inventés par désespoir et par ironie, alors que nous étions là, bras ballants, à contempler la scène, disséminés dans la salle, à traîner sous les cintres, au bar du foyer, ou assis dans sa loge à l’attendre les yeux dans le vague, à l’attendre, à l’attendre.” Attendre la femme fatale. Sans savoir si elle viendra ou non. L’héroïne maudite seule et belle qui vivait sous les feux de son public. Barbara tragédienne moderne qui chantait  :

“Quand un garçon me fait la cour

Ca m’fait plus rien j’ai l’habitude

Ca m’amuse deux ou trois jours

Puis je me retourne à ma solitude

Parce que j’avais peur

Peur que lui ne me tue

A grands coups de bonheur

J’ai tué l’amour

J’ai tué mes rêves

Tant pis si j’en crève.”

De cette amour fatal reste une blessure puisqu’elle n’est plus là pour le dire : “Si depuis j’ai dit je t’aime, ma plus belle histoire d’amour, c’est vous.”

Visuel (c) : pochette d’album.

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Camille Hispard

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