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Pardé : Jafar Panahi entrouvre les rideaux sur les affres de son assignation à résidence pour la Berlinale

Pardé : Jafar Panahi entrouvre les rideaux sur les affres de son assignation à résidence pour la Berlinale

13 February 2013 | PAR Yaël Hirsch

Empêché d’endosser son rôle d’invité d’honneur en 2010 sur ordre de son gouvernement, condamné depuis à 6 ans d’assignation à résidence et 20 ans d’interdiction de tourner ou quitter son pays, le réalisateur iranien du “Cercle” (palme d’or 2000) est quand même très présent à cette 63ème édition du Festival du film de Berlin. Dans la veine de son précédent opus “Ceci n’est pas un film” (2011), déjà réalisé dans ces conditions terribles, Jafar Panahi propose avec “Pardé” (traduit par les “rideaux fermés”) une fable sur l’enfermement où il se met en scène aux côtés de son complice: le poète et scénariste Kamboziya Partovi.

Un homme âgé et fugitif  (Kamboziya Partovi) se réfugie seul avec un chien dans une villa au bord de la mer (ou est-ce un lac? ). Pour être sûr que personne ne voit qu’il habite l’endroit il fait tomber de larges rideaux noirs (“Closed Curtains”) sur les immenses baies vitrées qui font tout le charme de la maison en bois. Il crée même une litière pour le chien afin que celui-c i ne les fasse pas repérer. Ce n’est qu’à la nuit qu’il sort la vider en refermant précautionneusement la porte à clé. Et pourtant, comme par magie, deux jeunes fugitifs qui se disent frère et sœur se cachent de la police chez lui. Sans lui demander sa permission le jeune hors-la loi lui laisse la jeune-femme trempée (elle a plongé dans l’eau pour échapper à la police) à garder, le temps qu’il aille chercher une voiture. Mais l’échappée belle (Maryam Moghadam) est  à la fois suicidaire et inquisitoire, ce qui ne plait pas du tout au vieil homme en cavale… Jusqu’au moment où intervient le réalisateur lui-même faisant fonctionner ces personnages de la fable initiale comme une allégorie de tous les désirs frustrés et de toutes les impossibilités que son enferment provoque chez lui.

Començant et se refermant sur une grille longuement et soigneusement fermée, “Pardé” distille lentement une poésie triste et terrible. Malgré la chaleur des trois étages en bois, malgré l’aspect bonhomme de Kamboziya Partovi et la beauté de Maryam Moghadam, la menace pèse, étouffante, et elle vient parfois plus de l’intérieur que de l’extérieur. dans ce film à entrées multiples, Panahi suggère  les mille et une manières qu’il a eues de contourner l’interdiction par des symboles, à commencer par les rideaux fermés: l’absence de lumière est un geste radical pour un cinéaste. Mais des rideaux tombent aussi sur les posters des films de Panahi, et des i-phones  dérivatifs se baladent. A un moment on voit même Panahi tourner en petit comité. mais, en contre-poids de son inventivité, la poésie de Jafar Panahi est aussi très triste et évoque de manière continue la tentation d’en finir. Si la muse suicidaire dit d’une part envers et contre tous “Vous ne pouvez pas voler la réalité”, elle  disparaît également au loin dans la mer montrant au réalisateur “Le seul chemin vers la sortie”. Une image sur laquelle le film aurait pu se terminer, au bout d’une heure mais que Panahi a voulu faire rebondir sur plus de joie de vivre et de créer. L’invention et la simplicité sont les deux maîtres mots de de “Pardé” dense et tout à fait à même de rafler un Ours… ou deux.

Jafar Panahi, Kamboziya Partovi, avec Kamboziya Partovi, Maryam Moghadam, Jafar Panahi, Hadi Saeedi, Azadeh Toradi, Agha Olia et Zeynab Khanum, Iran, 2013, 106 min. En compétition.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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