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“Et l’homme inventa le mariage…”

“Et l’homme inventa le mariage…”

14 February 2013 | PAR Le Barbu

Le couple existe chez les primates, mais l’homme l’a réinventé. Le mariage, qui officialise le couple constitue une relation culturelle originale que nos ancêtres ne connaissaient pas. Il a transformé cette structure en la différenciant du groupe ou de la simple parenté. Le couple est devenu visible. Cela a eu un impact majeur en générant la pacification entre les groupes. La reconnaissance du couple a permis de diminuer les hostilités en introduisant une alliance entre les groupes –ce qui est fort original!— et les femmes en sont les grandes médiatrices. » – Bernard Chapais, anthropologue à l’Université de Montréal.

 

Le mariage a connu depuis le commencement de l’Histoire des évolutions contrastées, en lien très fort avec le statut social de la femme. Les Égyptiens de l’époque pharaonique s’en sont tenus à une vision simple de l’humanité : des hommes et des femmes faits pour vivre ensemble sur un pied d’égalité. Ils se différenciaient ce faisant du monde oriental et de la Grèce elle-même, attachés à une conception inégalitaire des sexes.

Sous l’Empire romain, au début de notre ère, on voit apparaître toutefois une conception très moderne du mariage, lequel ne requiert même pas l’accord parental. Le terme romain employé à son propos est conjugium, dont nous avons fait les mots conjoint et conjugal. Il signifie que les époux portent ensemble (cum) le même joug (jugium) et se traduit par une belle formule qu’échangent les époux au moment du mariage : «Ubi tu Gaius, ego Gaia» (Où tu es toi Gaius, je suis moi Gaia).

À la fin de l’Antiquité, l’Église médiévale demeure en Occident la seule institution stable et respectée. Concernant le mariage, elle s’inscrit dans la tradition romaine et promeut l’égalité de l’homme et de la femme dans le couple. Elle met en avant aussi le devoir de solidarité et d’affection. Les clercs usent de leur autorité spirituelle pour imposer aux guerriers féodaux et aux souverains le respect de la monogamie, l’interdit de la répudiation et l’interdit de la consanguinité.

En 1215, le grand concile œcuménique de Latran IV hisse le mariage au rang de sacrement religieux. Il devient indissoluble. L’adultère lui-même n’est pas un motif de dissolution et peut tout au plus justifier une séparation de corps. Plus important encore, l’Église médiévale impose le libre consentement des époux au mariage, devant un prêtre. Autrement dit, les parents n’ont pas leur mot à dire. Cette disposition favorise les mariages d’inclination et concourt à l’émancipation juridique des femmes. Mais elle ne fait pas l’affaire des grandes familles de la haute aristocratie et de la bourgeoisie…À la fin de la Renaissance, ces dernières ont raison du mariage chrétien. En France comme dans la plupart des grands pays européens, les souverains réintroduisent l’obligation du consentement parental, au moins dans les grandes familles. Cette mesure entraîne la disparition des mariages d’amour dans les classes supérieures et va de pair avec une singulière régression du statut juridique de la femme, laquelle redevient comme dans l’Antiquité une mineure soumise d’abord à son père puis à son mari.


Le XVIIIe siècle ou Siècle des Lumières est aussi le siècle du clair-obscur, mê­lant le pire et le meilleur, avec des comportements divergents face au mariage, selon que l’on appartient aux classes supérieures ou aux classes populaires. Les premières réduisent le mariage à une alliance contractuelle entre familles, avec mise en commun de titres et de fortunes. Les secondes, moins sensibles à ces aspects, montrent davantage de liberté en matière de mœurs et restent attachées au mariage d’inclination. Ces divergences se retrouvent aux siècles suivants et jusqu’à nos jours avec la concurrence entre mariage arrangé et mariage d’amour, entre pudibonderie et liberté sexuelle, entre soumission de la femme et émancipation.

La parenthèse révolutionnaire se referme bien vite avec l’accession de la bourgeoisie aux commandes. L’Église perd définitivement son monopole sur l’institution matrimoniale mais il faut attendre en France 1884 pour que le divorce soit légalisé. Le droit au divorce et le libre consentement des époux vont de pair avec l’émancipation des femmes. Ces acquis se retrouvent plus que jamais menacés en ce début du XXIe siècle avec le retour en force des mariages arrangés, des mariages forcés d’adolescentes et également de la polygynie, y compris en Europe.

 

Le mariage dans Égypte antique

Qu’il s’applique aux humbles ou aux rois, qu’il soit libre ou contractualisé, qu’il soit simplement symbolique, le mariage dans l’Égypte antique peut revêtir des formes très diverses. Le point commun qui relie ces notions est la volonté de former un couple à l’image des divinités égyptiennes qui possèdent, presque toutes, leur parèdre. Les garçons se marient vers vingt ans alors que les filles se marient vers quinze à dix-huit ans.

Dans la plupart des cas, le mariage est la simple concrétisation d’un désir mutuel de vivre ensemble et de fonder une famille ; le « mariage » se réduit alors au simple fait d’habiter sous le même toit. Pour ce faire, il semble que nulle procédure administrative ni religieuse n’ait été requise : le consentement des époux aurait suffi. La femme est libre de choisir son époux et la morale égyptienne défendait au père de contrecarrer les désirs de sa fille. L’absence d’acte officiel pour sceller le mariage, avant la Basse époque, ne doit pas nous laisser croire pour autant que le mariage soit un acte fait à la légère et facilement défaisable.

 

Le mariage en Rome antique

Le mariage romain (matrimonium) est une cérémonie rituelle. Il en existe plusieurs (ius conubii) dans la société : Il y a d’abord plusieurs statuts pour la femme, Cum manu pour lequel la femme est sous l’autorité juridique de son mari et Sine manu où la femme est indépendante. Il existe trois formes de mariage Cum manu:

– la confarreatio, union principalement pour les patriciens suite à un rituel dans lequel ils doivent manger un gâteau d’épeautre.

– la coemptio, avec enlèvement symbolique de la femme et validation du mariage au bout d’un an de cohabitation avec le mari. La femme est intégrée dans la famille du mari si celui-ci meurt.

– l’usus : au bout d’une année de vie commune, un couple est considéré comme marié. Durant cette période, la femme ne peut rester trois nuits de suite sans venir dormir sous le même toit que son compagnon. Si elle reste absente du domicile trois nuits de suite, on considère qu’il y a abandon. Le mariage est frappé de nullité. Le cas est validé par le droit romain dans La loi des Douze tables.

L’âge légal du mariage était fixé à 12 ans pour les filles et 14 ans pour les garçons ; en pratique des mariages de filles de moins de 12 ans ont eu lieu, et les jeunes hommes se mariaient vers vingt ans. Se marier est un devoir civique et les célibataires sont défavorisés (par exemple, ils sont frappés de taxes spéciales). Des lois ont été créées contre le célibat.

“L’Enlèvement des Sabines” de David


La transition barbare

Comme les Romains, les Germains ont une approche flexible du mariage.

le rapt consenti…

Ils pratiquent en premier lieu une forme de concubinage, le Friedelehe, ou mariage d’amitié, qui peut débuter par un rapt de la jeune fille ! L’union sera stable et les enfants à naître seront légitimés à moins qu’un mariage officiel ne vienne troubler l’union.

… Et le cadeau du matin :

Les Germains pratiquent aussi un mariage officiel, le Muntehe, qui débute par une demande solennelle au père de la promise. Par la même occasion, le prétendant lui remet des cadeaux, c’est en quelque sorte une dot du mari, inverse de la dot habituelle aux Romains. Ensuite vient le passage de la jeune fille de la maison paternelle à celle de son futur époux, puis la cérémonie du coucher des mariés qui valide enfin l’union.

Au réveil, le mari fait un cadeau à sa femme pour prix de sa virginité. C’est le Morgengabe.

 

Le siècle des possibles…

 

Le XVIIIe siècle ou Siècle des Lumières est celui de tous les possibles. Dans les classes populaires et la paysannerie, le mariage se renforce. Dans les campagnes, avec l’amélioration des conditions matérielles, il apparaît plus que jamais comme un facteur de stabilité. On se marie pour s’établir et trouver une aide dans les épreuves de la vie, en s’appliquant dans certaines limites les préceptes chrétiens de fidélité et d’affection mutuelles. Dans la haute société, cependant, l’institution matrimoniale arrive à bout de souffle. C’est la rançon de ces mariages arrangés, déterminés par la cupidité des familles. Les «philosophes» et autres penseurs ébauchent des remèdes divers et variés qui relèvent de l’utopie. Helvétius préconise le mariage à l’essai ou à durée déterminée. Diderot, inspiré par les récits de voyage de Bougainville, érige en modèle les mœurs libres des Tahitiennes…En 1782, à la veille de la Révolution française, la publication d’un roman épistolaire, Les liaisons dangereuses, annonce de grands changements dans une institution matrimoniale à bout de souffle…

 

Le tournant du XXème siècle…

Tant en Amérique qu’en Europe occidentale, les «Trente Glorieuses» (1944-1974) témoignent de l’épanouissement de la famille nucléaire : un couple soli­daire entouré de deux ou trois enfants. Les femmes acquièrent partout le droit de vote et investissent massivement le marché du travail. Mais en France, c’est seulement le 13 juin 1965 que le légis­lateur se décide à mettre fin à la puissance maritale, autrement dit à la primauté de l’homme sur la femme dans le couple (jusque-là, la femme avait par exemple besoin d’une autorisation de son mari pour travailler à l’extérieur).

 

Aujourd’hui…

Le XXIe siècle s’ouvre sur de nombreux points d’interrogation. Dans les années qui suivent les «événements» de Mai 68, il était de bon ton de se gausser du mariage. Il n’y aura bientôt plus que les prêtres pour souhaiter encore se marier, ironisait-on. Surprise. Les mêmes, quarante ans plus tard, défendent bec et ongles le droit au mariage pour les homosexuels. Dans le même temps, de l’Allemagne au Japon en passant par la Russie, la Grèce… c’est la finalité même du mariage qui se dissout avec un indice de fécondité moyen proche d’un enfant par femme. Dans les banlieues communautaires des métropoles européennes, c’est un tout autre son de cloche avec l’irruption de phénomènes oubliés ou inconnus : mariages forcés d’adolescentes, mariages arrangés, dévalorisation sociale de la femme, polygynie.

En Europe et dans le reste du monde, la modernité et le développement de l’économie monétaire ont des résultats paradoxaux. Tandis que la bourgeoisie préserve son intégrité en rapprochant ses enfants dans des «rallyes» très sélectifs, les agences de mariage communautaires bénéficient d’un nouvel atout avec internet : musulmans, juifs ou catholiques intégristes, Africains… cherchent sur ces réseaux une âme sœur qui leur ressemble. Le communautarisme et l’endogamie (le mariage à l’intérieur du clan) s’en trouvent renforcés.

Dans les mondes africain et musulman, la polygamie bénéficie d’un nouvel élan grâce aux revenus du pétrole ou aux salaires de l’émigration. Leurs bénéficiaires peuvent à bon compte s’offrir une, deux ou plusieurs «épouses», esclaves sexuelles, génitrices et bonnes à tout faire. L’émancipation féminine attendra.

En Inde, fait curieux, la dot était au début du XXe siècle une obligation limitée à une petite fraction de la classe moyenne. Elle s’est diffusée à l’ensemble de la société et est devenue une charge exorbitante pour tous les parents qui ont le malheur d’avoir des filles… Il s’ensuit une multiplication des avortements sélectifs de filles.


Bien malin qui peut dire quel phénomène l’emportera dans le siècle qui s’ouvre, du sexe joyeux du temps des Lumières, du mariage librement consenti de l’époque médiévale, de l’union sous contrainte ou de la soumission de la femme au mari, au clan et à la communauté…

 

 

Source: André Larané, Le mariage dans tous ses états.

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Le Barbu
Le Barbu voit le jour à Avignon. Après une formation d'historien-épigraphiste il devient professeur d'histoire-géogaphie. Parallèlement il professionnalise sa passion pour la musique. Il est dj-producteur-organisateur et résident permanent du Batofar et de l'Alimentation Générale. Issu de la culture "Block Party Afro Américaine", Le Barbu, sous le pseudo de Mosca Verde, a retourné les dancefloors de nombreuses salles parisiennes, ainsi qu'en France et en Europe. Il est un des spécialistes français du Moombahton et de Globalbass. Actuellement il travaille sur un projet rock-folk avec sa compagne, et poursuit quelques travaux d'écriture. Il a rejoint la rédaction de TLC à l'automne 2012 en tant que chroniqueur musique-société-littérature.

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