Cinema
Berlinale : Camille Claudel 1915, Bruno Dumont scrute Juliette Binoche

Berlinale : Camille Claudel 1915, Bruno Dumont scrute Juliette Binoche

13 February 2013 | PAR Olivia Leboyer

Le cinéma de Bruno Dumont est singulier. Avec ce Camille Claudel 1915, il ne nous livre pas un biopic, mais une immersion dans le quotidien de cette femme internée depuis deux ans, et pour de très longues années encore. Dérangeant, le film nous heurte jusqu’au malaise.

Bruno Dumont observe minutieusement le quotidien de Camille Claudel, cloîtrée dans l’asile psychiatrique de Montdevergues, dans le Vaucluse. En 1915, la guerre vient de commencer. Nous la suivons du jardinet à la cuisine, où elle a obtenu le droit de cuisiner elle-même ses repas, car elle redoute un empoisonnement. Assaillie par des crises de paranoïa, accablée par une immense tristesse, Mademoiselle Claudel partage cet espace clos avec des handicapés mentaux atteints de graves déficiences. Ses compagnons d’infortune, édentés, riant frénétiquement, hurlant, lui rappellent qu’elle a quitté le monde des hommes. Où l’humanité se loge-t-elle encore ? Sur le beau visage de Juliette Binoche, les émotions passent comme des tempêtes et laissent des traces : tour à tour pur, comme lavé, reposé, son visage se fripe soudainement, se tort, se crispe de pleurs. Dans ce rôle, on se souvient d’une Isabelle Adjani inoubliable de ferveur exaltée (Bruno Nuytten, 1987). Ici, Juliette Binoche incarne à merveille Camille Claudel, en lui donnant une dimension très humaine, très nue.

Mais Bruno Dumont nous fait ressentir cet enfermement de manière très aiguë. A part Juliette Binoche et Jean-Luc Vincent, qui joue Paul Claudel, les protagonistes du film sont de vrais handicapés. Leurs visages déformés, aux dents ébréchés, au regard fixe, sont filmés en gros plan. Une impression de malaise s’installe. Certes, une certaine lueur d’humanité se trouve dans chaque être humain. Quand cesse-t-on d’être un être humain ? se demande Camille, submergée de chagrin devant les efforts dérisoires, pénibles et pourtant touchants des handicapés pour jouer une pièce de théâtre. Qu’a-t-elle de commun avec eux, elle qui peut encore tenir de la terre dans sa main et la pétrir ? De temps à autre, Camille Claudel crache de longs monologues sur Rodin et ceux qu’il envoie, depuis sa tombe, lui dérober ses œuvres. Au vieux directeur de l’établissement, qui l’écoute avec bienveillance, elle confie ses peurs, son désir de liberté.

Et l’espoir réside dans la visite annoncée de son frère, ce samedi. Elle espère de toutes ses forces qu’il va la sortir de cet endroit, au moins quand la guerre aura cessé. Jean-Luc Vincent incarne un Paul Claudel tout en raideur déplaisante et en discours rhétoriques à n’en plus finir. Avec componction, il va démontrer à Camille que l’internement représente la meilleure solution pour elle.

Pour écrire le scénario, Bruno Dumont s’est inspiré de la correspondance entre Camille et son frère. Seulement, le ton, le style d’une lettre ou d’un dialogue parlé ne peuvent être exactement semblables. Paul et Camille parlent ici comme ils écrivent, de manière très désincarnée, froide.

Un film qui procure un malaise certain.

Camille Claudel 1915, de Bruno Dumont, France, 97 minutes, avec Juliette Binoche, Jean-Luc Vincent. Sélection officielle, en compétition.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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