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La vie sans fards : Maryse Condé revient sur sa rencontre avec l’Afrique

13 August 2012 | PAR Yaël Hirsch

Avec une trentaine de romans à son actif, une carrière de journaliste (pour la BBC), de professeur (elle a fondé et dirigé pendant 5 ans le département d’études françaises et francophones de Columbia University), la présidente en 2004 du Comité pour la mémoire de l’esclavage chargé de l’application de la loi Taubira n’est pas prête de prendre sa retraite des lettres françaises. Dans son dernier livre, à paraître le 22 août chez JC Lattès, elle revient sur ses années en Guinée et au Ghana où elle a su, malgré les obstacles, mener une vie de femme libre.

Née dans une famille plutôt aisée de Pointe-à-Pître, surdouée à l’école, Maryse Boucolon compromet les espoirs familiaux de carrière fulgurante à son arrivée comme étudiante dans le Paris des années 1950. Elle tombe amoureuse du journaliste Haïtien Jean Dominique et se retrouve enceinte. S’envolant pour soutenir l’oppsition à Jean Duvalier dans son pays ce dernier la laisse seule, qui plus est malade et obligée d’abandonner ses études pour se soigner dans un sanatorium. Elle épouse un comédien guinéen, Mamadou Condé, et chute dans l’échelle sociale. Elle décide alors de partir seule envoyée par l’administration français en Côte d’Ivoire. Puis elle rejoint son mari – qui adopte son premier enfant et lui en fait trois autres- dans son pays d’origine, la Guinée, qui dans les années Sékou Touré est officiellement “non alignée” et dans les faits aussi dépourvue de denrées, biens de première importance et liberté, qu’un pays soviétique. Accoucher dans un hôpital Guinéen est par exemple un véritable cauchemar de saleté, de laisser-faire et de promiscuité. Maryse Condé décide donc de prendre ses quatre enfants sous le bras et de s’installer au Ghana voisin, plus libre et plus aisé. Mais les postes qu’on lui octroie dépendent terriblement des faveurs sexuelles qu’elle offre ou laisse prendre et surtout, du point de vue des idées et des nourritures spirituelles, le Ghana anglophone ne la convainc pas. Jusqu’à ce qu’elle tombe à nouveau amoureuse… Mais le jeune avocat sorti d’oxford qui s’éprend d’elle n’accepte pas ses quatre enfants. Et bientôt, un coup d’état la renvoie hors des frontières du pays, car suspectée d’être espionne de Guinée. Elle passe un an en Angleterre, avant de retourner auprès de son amoureux ghanéen, puis elle se trouve un autre emploi au Sénégal…

Parcours d’une femme libre se posant librement la question de son identité entre Antilles, Europe et Afrique, “La vie sans fards” revient avec une honnêteté et une brutalité parfois frappantes sur la formation anarchique et par palier d’une pensée puissante et sur 15 ans d’Histoire dans des pays Africains en pleine décolonisation. Maryse Condé n’épargne personne dans son roman : ni les tyrans cachant leur violence sous de belles idées, ni l’hypocrisie de voisins indifférents jusqu’à la veille d’un nouveau départ, ni les hommes prêts à abuser des femmes, ni même elle-même à la fois incapable de lâcher ses enfants pour reprendre ses études et vivre pleinement ses relations amoureuse, et en même temps incapable de les élever avec constance et prête à flouer mille fois leur généreux et joyeux père pour suivre son instinct de survie. Heureusement, dans ce désordre souvent parsemé de détresse, de tristesse et de douleur, certains étrangers, femmes et hommes, tendent la main et aident la jeune mère et femme pleine de vie à poursuivre son bien singulier destin. Un livre fort car rempli de force et qui semble effectuer une coupe franche dans la vie à Conakry et Accra au début des années 1960.

Maryse Condé, “La vie sans fards”, JC Lattès, 334 p., 19 euros. Sortie le 22 août 2012.

Moi, je commençais de détester ce mot ‘intégrer’. Toute mon enfance, j’avais été intégrée, sans l’avoir choisi, par la seule volonté de mes parents, aux valeurs françaises, aux valeurs occidentales. Il avait fallu ma découverte d’Aimé Césaire et de la Négritude pour au moins connaître mon origine et prendre certaines distances avec mon héritage colonial. A présent, que voulait-on de moi? Que j’adopte entièrement la culture de l’Afrique? Ne pouvait-on m’accepter comme j’étais, avec mes bizarreries, mes cicatrices et mes tatouages?” p. 101-102.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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