Musique
Pop’pea, l’adaptation audacieuse de Monteverdi au Théâtre du Châtelet

Pop’pea, l’adaptation audacieuse de Monteverdi au Théâtre du Châtelet

30 May 2012 | PAR Yaël Hirsch

Alors que « l’Orfeo » (1607) est considéré comme le premier opéra de l’Histoire, ultérieur dans l’œuvre de Monteverdi, « le couronnement de Poppée » (1642) est probablement son chef d’œuvre. Michael Torke, Peter Howard et Max La Villa transposent ce conte cruel romain à la fin du 20ème siècle avec une flopée de stars sur scène (Valérie Gabail, Carl Barât, Benjamin Biolay, Marc Almond, Frederika Stahl…). Si, visuellement, le spectacle est un enchantement, notamment grâce aux installations du vidéaste Pierrick Sorin, l’opéra aurait eu besoin de quelques semaines de répétitions en plus pour que le son soit en place, surtout alors qu’il pêche par une composition musicale qui le morcelle.

A Rome, l’empereur Néron (Carl Barât) est tombé sous les charmes de la belle Poppea (la soprano Valérie Gabail). Ils sont pourtant tous les deux mariés, lui à la fidèle et fière Ottavia (Frederika Stahl) et elle à un mari jaloux et transi, Ottone (Benjamin Biolay). Néron est prêt à tout pour répudier Ottavia et marquer le triomphe de l’amour à Rome par le couronnement de Poppée, et ce, malgré les rappels à l’ordre et à la raison de son précepteur, le philosophe Sénèque (Marc Almond).

Loin d’un coup coup de tête ou d’un caprice facile, « Pop’pea » est un spectacle profond qui tente vraiment de retrouver la voie qui mène de l’origine du baroque au « haut » rock, dont Marc Almond Carl Barât marquent deux générations. La mise en scène de Girgio Barberio Corsetti et de Pierrick Sorin et les costumes de Nicola Formichetti sont probablement ce qu’il nous a été donné à voir de plus séduisant et frais à l’opéra à Paris depuis longtemps. Les petits mécanismes de Sorin jouxtent les personnages imaginés par Tacite et Monteverdi. Et l’on est complètement séduits et charmés par leur emboîtement en projection sur un grand écran parfaitement cadré et qui s’élargit vers la fin à la scène entière. L’arrivée de Benjamin Biolay en perfecto sur sa moto re-projetée donne le la de ce ballet d’images et de vanités. La plus saisissante et la plus symptomatique de l’art de Pierrick Sorin est probablement la mort qui fait du vélo en introduction au « Non Mori Seneca ». Et dans cet opéra où tous les acteurs sont d’une beauté et d’un sex-appeal à couper le souffle, il y a parfois un petit côté Pierre & Gilles tout à fait agréable dans le travail du vidéaste qui sait génialement s’adapter aux courbes du baroque. Coté comédie, malgré l’accent anglais difficile de benjamin Biolay, la scène qui s’étend volontiers à l’ensemble du Théâtre du Châtelet est riche en surprises et Carl Bârat joue un Néron-voyou tout à fait convainquant.

Cependant, quelque chose manque à ce spectacle pour qu’il finisse par tout à fait séduire. Il semble que la gêne vienne avant tout de la musique. Première hypothèse : Peut-être est-ce une question de temps de répétition ? En effet, les morceaux de bravoure comme le « Disprezzata Regina » ou le « Addio Roma » de Ottavia, ainsi que les duos très travaillés de Néron et Poppea sont parfaitement harmonieux. Pour les fans, l’on peut même dire que sur son premier air, l’on entend Biolay véritablement chanter, peut-être pour la première fois. Et pourtant, jusqu’au « Non mori Seneca », Marc Almond chante terriblement faux, Carl Bârat n’arrive pas non plus à suivre le rythme de ses arias en solo, et seules les femmes –dont l’époustouflante Frederika Stahl qui tire des larmes très pop à son audience dans son dernier aria d’adieu à Rome- semblent tirer leur épingle du jeu musical de la transposition de Monteverdi au rock.

Deuxième hypothèse à part le temps court qui expliquerait que le spectacle ne soit pas encore tout à fait au point : la transposition n’a pas choisi entre une version expurgée de Monteverdi arrangée à la guitare électrique de Max La Villa et une création originale librement inspirée de Monteverdi. Ainsi, les grands arias suivent la première logique avec brio, tandis que le reste de l’opéra oscille entre variations étranges des arrangements dans le respect (difficile à tenir pour les voix masculines non entraînées et presque trop aisé à suivre pour la soprano Valérie Gabail ) des mélopées vocales et pot-pourris d’influences mêlées où la fine fleur du rock années 1980 coexiste avec le hip-hop. Le résultat est une musique, des récitatifs et des chants morcelés qui fonctionnent en mini-tableaux qui se suivent de manière abrupte, à milles lieues de la fluidité magistrale de l’opéra de Monteverdi. Une hétérogénéité qu’on retrouve dans les voix qui vont de la soprano classique aux rockeurs les moins virtuoses, en passant par une Anna Madison très Cindy Lauper et une Frederika Stahl à la voix quasiment folk.

Malgré une certaine frustration face au détonnat méli-mélo musical, ce « Pop’pea » est à voir pour l’originalité et l’honnêteté de sa quête et pour l’art bouleversant de Pierrick Sorin.

Pop’pea d’après Caludio Monteverdi, adaptation musicale, Michael Torke, Direction musicale, batteries et co-orchestration : Peter Howard, orchestration et guitares : Max La Villa, mise en scène et scénographie-scenario : Girgio Barberio Corsetti et de Pierrick Sorin, costumes : Nicola Formichetti, avec Valérie Gabail, Carl Barât, Benjamin Biolay, Marc Almond, Frederika Stahl, Anna Madison…

© Marie-Noëlle Robert – Théâtre du Châtelet

Pour lire la critique de nos collègues des “Soirées de Paris”, c’est ici.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

3 thoughts on “Pop’pea, l’adaptation audacieuse de Monteverdi au Théâtre du Châtelet”

Commentaire(s)

  • Manu

    Je me demande si la sonorisation de la salle n’est pas également responsable de ce qui est effectivement très gênant : c’est musicalement non abouti

    May 30, 2012 at 14 h 30 min

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