Cinema
Amour, Haneke penche avec brio et sans âme sa cruauté vers le 3e âge

Amour, Haneke penche avec brio et sans âme sa cruauté vers le 3e âge

22 May 2012 | PAR Yaël Hirsch

Dans « Amour », le réalisateur autrichien qui avait obtenu la palme d’or pour « Le Ruban Blanc » se penche sur la décadence qui a lieu avec le très vieil âge. Si Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant son époustouflants et si « Amour » a toutes les faveurs des critiques qui l’ont encensé et classé devant tous les autres films en compétition déjà projetés, l’envoyé spécial de toutelaculture.com à Cannes a peu apprécié ce film qui parvient à être à la fois glacé et sale.

Georges (Jean-Louis Trintignant, en lice pour la première place au palmarès) et Anne (Emmanuelle Riva, plus que courageuse) ont dépassé les 80 ans. Elle est professeure de piano, lui est probablement intellectuel. Ils sont à la retraite et occupent leurs journées à être ensemble, à discuter ou à manger, et parfois leurs soirées au concert. Leur appartement spacieux et bourgeois est situé dans un beau quartier de Paris, et de temps en temps, leur fille (Eva) vient leur rendre visite, entre deux voyages avec sa formation musicale. Un matin, au petit déjeuner, Anne s’immobilise, l’attaque semble anodine, mais la laisse paralysée de tout le côté droit du corps. Avec simplement l’aide du concierge pour porter les packs d’eau, Georges se dévoue avec amour à Anne, et l’aide pour les gestes les plus quotidiens. Mais une deuxième attaque vient enlever la raison à l’ancienne pianiste, si bien que Georges- même avec l’aide d’infirmières, ne vit plus que pour l’accompagner dans une déchéance sans dialogue.

La critique est unanime, Haneke serait le premier à se pencher sur le tabou du quatrième âge, dans un film dans lequel certains voient son œuvre la plus pure et la plus simple, et tous un film très dur mais bouleversant. Or, si nous sommes d’accord pour louer la maitrise parfaite des images, ces images bleues qui montrent cliniquement les corps vieillissants et scanne le milieu social bourgeois du couple au scalpel, si nous saluons également la direction de deux acteurs d’une force peu commune, force est de constater qu’il n’y a pas d’émotion dans l’amour. Haneke pousse ici la cruauté jusqu’à son extrême limite. A part une scène claustrophobe au Théâtre des Champs Elysées, il épingle le couple dans son appartement, la seule échappatoire pour Georges étant une cigarette en regardant par la fenêtre de l’arrière-cour. La musique ne sert à rien (malgré les débuts au cinéma du virtuose Alexis Tharaud en une version compassée de lui-même), aucun mouvement d’aucune composition n’est joué jusqu’au bout, et les passages de la fille jouée par une Isabelle Huppert plus hystérique et froide que jamais sont des grands moments de reproche sans oxygène possible. Filmant méthodiquement le dépérissement de Anne comme un retour à l’enfance et transmuant le dévouement de Georges en une dignité absurde et moyenâgeuse, le réalisateur raye en tout amour, si ce n’est celui qu’il a de sa très haute personne : tellement sur de savoir tout sur la vie et l’art qu’il semble dire à travers son film qu’il connait aussi le long chemin qui mène vers la mort. Malgré toute sa maestria, la cruauté froide et souvent gratuite de Haneke fait office d’émotion. Mais pour traiter un sujet comme celui d’ « Amour », le handicap de sentiments et le manque d’humanité sont réellement disqualifiants. Si voir quelques plans parfaits sur une vieille dame qui tombe dans un gouffre d’impuissance et d’humiliation vous tente, rendez-vous en salles le 24 octobre. Mais si vous pensez qu’il y a un peu plus de chair et d’amour dans les derniers jours d’un être humain, et, surtout, si vous pensez que le cinéma est plus dialogue qu’exercice de style, réfléchissez avant de vous soumettre aux tortures raffinées calculées par le réalisateur de « Funy games ».

“Amour”, de Michael Haneke, avec Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert et la participation d’Alexandre Tharaud, France, Allemagne Autriche, 2h07, en compétiton, sortie le 24 octobre 2012

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

11 thoughts on “Amour, Haneke penche avec brio et sans âme sa cruauté vers le 3e âge”

Commentaire(s)

  • chantal

    Yael, je reviens de voir le film Amour d’HANEKE et découvre votre commentaire. Curieux commentaire à ce propos, faut-il voir la vieillesse comme dans les publicités télévisuelles, belle malgré le choléstérol, belle en montant l’escalier avec un engin mécanique, belle dans une baignoire adaptée ? non je ne le crois pas, la vieillesse, la perte de soi on la lit dans les yeux d’Emmanuelle Riva, majestueuse dans ce rôle. Jean-Louis Trintignant claudiquant vers sa belle disparue. Et Isabelle Huppert montre ici tout le désarroi que l’on peut ressentir devant cette vieillesse qu’on ne veut pas atteindre. Non ce film n’est pas glacé comme les magazines bien au contraire, il montre la vie, la vraie vie. Attention Yael, vous ressemblez à l’infirmière !

    November 10, 2012 at 21 h 07 min

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