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Les éphémérides, roman. Stéphanie Hochet ordonne le chaos avec génie

Les éphémérides, roman. Stéphanie Hochet ordonne le chaos avec génie

24 March 2012 | PAR Pascal

Stéphanie Hochet, suite au bouleversant Combat de l’amour et de la faim (éditions Fayard) offre avec son dernier roman « Les éphémérides » paru aux jeunes éditions Rivages, la fin d’un monde victime de sa modernité excessive, à la chimie et l’alchimie artificielles. Bien plus qu’une fantaisie, elle ordonne avec ce livre le chaos qui précède aux derniers jours, nous rappelant qu’il précédait également aux premiers. SI un dieu créa la Terre, les hommes la détruisirent. Dans une réalité qui émeut, fascine, effraie, émerveille et excite, l’auteure propose des paysages littéraires sans chercher la séduction. Réalistes. Anglais. Dans des landes, des cottages et des villages baignés des cieux de Turner, des personnages peints par Francis Bacon dans une plume limpide et classique, elle y fait vivre des personnages à la lumière vive et l’amour du destin incroyablement pertinent, jouisseurs de la vie, improbables créateurs avant l’heure fatidique. Qui sont les monstres ? Ceux qui engendrèrent le chaos ? Ceux qui lui survivront ? Printemps, sale printemps. Quand Stéphanie Hochet ordonne le chaos.

Tara et Patty, un couple de femmes vivent dans leur ferme d’ Écosse avec leurs chevaux. Simon Black, peintre descendu tout droit de l’arbre généalogique de Francis Bacon, passionné par le cri vit à Londres et aime Ecuador. Alice, jeune française retourne vers Tara, son premier amour. Nous sommes au début de l’hiver. Le dernier. L’humanité aura disparu le jour de l’arrivée du printemps. Trois mois dans un climat insurrectionnel victime de son scientisme. Et pourtant, la promesse de l’aube chante des instants de gloire.

Une esthétique, sans facéties, sans longueur, picturale. Excitante. Rythmée par un découpage du temps dont les éphémérides, “sacrément sociales”, sont remises à aucun demain, mais aux individus pour un temps compté à rebours. La seule évidence, provocante, rationnelle et persuasive comme la cohérence improbable d’un délinquant ou d’un malade mentale apporte dans ce chaos, cette anarchie punk du No Future, un étrange apaisement. Les brumes et les cris ne sont plus que des décors. Ici réside la force du texte. Ni laideur, ni beauté, juste les faits où se mêlent la vision rationnelle, l’imaginaire, le goût sanguin de la vie, le désir d’enfanter, l’enfantement même. Ici, la puissance narrative de Stéphanie Hochet donne à voir. Efficacité du monde terrien où la vie s’enracine dans la culture aussi bien que la vie des bordels dont sont addicts les nantis sadomasochistes ; paradoxe effrayant ( bien plus que l’apocalypse annoncée) où les grands de la politique jouissent dans la souffrance des talons aiguilles, pour oublier qu’ils sont les destructeurs de la civilisation. Les deniers monstres.

Mais, d’autres sont à naître. En attente d’accouchement. La personnalité de Stéphanie Hochet émerge dans cette relation à l’enfantement ; de la même façon son rapport à la création et à la vie charnelle entre femmes, maîtresses, ainsi que dans la vie de couple ont la marque de la réalité, effrayante parfois, charnelle souvent jusqu’à l’érotisation froide et payante de rituels intimes – ne sont-ce pas ici les derniers éphémérides?- en passant par l’observation de la réalité créatrice du cri du peintre. Qui, dans ce roman crie l’horreur ? Tant qu’on ne voit pas, tant qu’on imagine, on ne crie pas. Seul, le peintre consacrera son œuvre au buccal, dans toutes ses expressions. L’art fixe l’horreur, la poétise. L’artiste se soucie de l’insoutenable « lui-même » et le politique l’exécute. Térébenthine et huile de lin contre capsules mortelles et gênes interdits. Qui sont les monstres ?

Avec cette œuvre, l’auteure s’approprie la nature et la culture anglaise, tant dans l’écriture, la vision, l’incarnation de ces « flamboyants personnages » que le bon usage des lieux et du terroir. Entre Mary Shelley et Maupassant, la vision anarchique du désordre des « jours avant » est une réflexion intelligente sur la force du projet, le premier et dernier amour, la force du destin. Et pourtant, les génies du rock, du business, du libéralisme poussent la création tant et si loin qu’ils deviennent des bourreaux proches de la Shoah. Dans cette atmosphère putréfiée, le prêt à mourir favorise le tout-à-vivre des personnages. Comme si de rien n’était. Ou pas. Patty, femme mâle, douée d’une conscience absolue, terrienne, maîtresse des lieux, Docteur Frankenstein dominante et tolérante, installe dans notre réflexion, la métaphysique de l’à venir, quand il n’y en a plus, un déterminisme hors du commun. Et bien plus encore. Le désir de procréer des couples homosexuels. Admirable.

De ce qu’elle pensait être une fantaisie sur un thème si souvent renouvelé, celui du dernier jour, Stéphanie Hochet apporte un roman audacieux, une métaphysique de la création mettant en lumière une réalité douloureuse, sans séduction mais excitante. L’humain a créé les éphémérides, rencontre du religieux et de la culture, symbole de la vie tellurique et des arpents agricoles, des saisons, des saints. Ils prennent leur puissance dans le solstice d’hiver pour s’éloigner, l’été avec le Baptiste. Il convenait de les réinventer. Il convenait de parler de l’animal, assassin potentiel présent en chacune et chacun de nous, ou, jouisseur heureux qui reconnaît le bonheur quand la fin est proche, aux enfers.

Qui mena la meute ? Stéphanie Hochet y répond avec efficacité et talent. « Les éphémérides », nous offre la naissance d’un monstre, du genre littéraire. Stéphanie Hochet.

« J’ai entendu des hurlements. Un dans mon bâtiment, l’autre dans la rue. « Ne l’égorgez pas ! Ne l’égorgez pas ! » criait un homme derrière le mur. Quand, dans la rue, un son n’avait rien d’humain, j’ai cru qu’on abattait un animal. Ensuite, des voix, un fort accent cockney, une bagarre – est-ce une bagarre ?-, respirations saccadées, gémissements étouffés et bruits amortis de coups. Je ne vois rien mais mon ouïe est en alerte ; ça dure. Je retiens ma respiration et il me vient une envie de pleurer. Quand la scène s’évapore – les sons s’évanouissent comme un claquement de doigts, étrange expérience qu’on dirait venir d’un film ou de la lecture d’un scénario -, je m’étonne de n’avoir pas songé à utiliser mon arme.

Dix minutes passent, je reçois un cop de fil. C’est Ecuador.

La vie est sublime. Toutes les rigueurs l’embellissent. Elle n’a jamais été aussi belle. La violence déploie son esthétique grandiose dans la cité, je suis mille fois vivant. Mon ancienne existence aurait explosé sous tant de bonheur. J’ai reçu un coup délicieux. Je pense à la phrase de sainte Thérèse d’Avila : «  tout ce qui arrive est adorable. » Tout ce qui arrive est grâce et je connaîtrai d’autres joies, inexplorées, pleines, juteuses comme des fruits tropicaux ; l’ivresse est là qui attend. »

Pascal Szulc

les éphémérides
Editions RIVAGES
17 euros

Stéphanie Hochet

Née en 1975, Stéphanie Hochet est écrivain et critique.

Elle publie son premier roman, Moutarde douce (Robert Laffont) à l’âge de 26 ans. Puis aux éditions Stock : Le Néant de Léon (2003), L’apocalypse selon Embrun (2004), et Les Infernales (2005).

Je ne connais pas ma force parait en 2007 aux éditions Fayard. Elle reçoit le Prix Lilas 2009 pour Combat de l’amour et de la faim (Fayard).

La distribution des lumières paru aux éditions Flammarion pour la rentrée littéraire en septembre 2010 obtient le Prix Thyde Monnier de la Société des Gens de Lettres.

Dans « Je » est bon parce qu’il est moi, texte publié dans Libération en juillet 2009 puis aux éditions du Seuil, elle met en scène le délire de toute-puissance d’un chef d’État qui se sent au dessus des lois et des hommes.

Elle participe à des projets collectifs comme Collection irraisonnée de préfaces à des livres fétiches publié en 2009 chez Intervalles. Et Dictionnaire des séries Télé, éditions Philippe Rey, qui sortira en octobre 2011.

Elle tient une chronique au Magazine des livres, BSC News (un journal culturel internet), écrit pour Le Jeudi au Luxembourg, a également collaboré à Libération.

 

 

 

 

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