Théâtre
François Abou Salem, l’homme qui a su faire dialoguer Palestine et Europe par le Théâtre

François Abou Salem, l’homme qui a su faire dialoguer Palestine et Europe par le Théâtre

16 October 2011 | PAR Yaël Hirsch

Le 1ier octobre dernier, François Abou Salem a été retrouvé mort au pied d’un immeuble de banlieue de al-Tira, près de Ramallah, où il vivait. Français grandi à Jérusalem-Est, ayant changé son nom de “Gaspar” pour Abou Salem, François Abou Salem a choisi la Palestine comme nation de cœur et d’inspiration. Le théâtre était sa vie, et il le lui a bien rendu en mettant en scène et en créant des pièces engagées qui ont renouvellé le théâtre traditionnel palestinien. Avec son ex-femme, Jackie Lubeck, et sa compagnie “El-Hakawati” (“les conteurs”), François Abou Salem a transformé l’ancien cinéma incendié Al-Nuzha de Jérusalem, en Théâtre National Palestinien à partir de 1985. En 1998, il avait reçu des mains de Yasser Arafat le “Prix Palestine”, qui « récompense un ouvrage publié dans l’année en français, consacré à la Palestine ou une personne physique ou morale dont l’action en faveur de la cause palestinienne est digne d’être honorée ». Retour sur la trajectoire exceptionnelle d’un artiste au service de la Paix, entre Beyrouth, Paris et Jérusalem.

Né en 1951 et grandi à Jérusalem-est, François Abou Salem est le fils du grand poète de langue française (prix Goncourt en 1998) et d’origine Hongroise Lorand Gaspar, qui exerçait son métier de médecin à l’hôpital français de Jérusalem et à qui l’on doit un “Histoire de la Palestine” (Maspero, 1968). Sa mère, la française Francine Gaspar est sculpteur. Après avoir fait son lycée dans un institut jésuite à Beyrouth, François Abou Salem rejoint le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine avant de rentrer à Jérusalem au milieu des années 1970. Embrassant entièrement l’identité et la langue palestiniennes, identité qu’il percevait à la fois comme un poids et une élection, il crée ce qu’il appelle un “théâtre pauvre”; à travers ses partis pris, ses références et ses tournées dès 1978, Abou Salem ouvre un dialogue fructueux entre ses auteurs européens fétiches (Kafka, Brecht, Genet) et le théâtre traditionnel Palestinien. Ainsi, par exemple de son « Abou Ubu chez le boucher », conçu avec Paula Fünfeck en 2008 et qui expose de rétreindre les contradictions de la société palestinienne. Dès son retour à Jérusalem, Abou Salem commence également à proposer aux spectateurs ses propres textes qu’il met en scène de manière poétique et quasi-magique. Ces textes circulent partout : de Gaza aux grand théâtres européens.

Certains voient dans l’art dramatique d’Abou Salem, de mise en scène et d’écriture d’Abou Salem une dénaturation de ce théâtre traditionnel, plus nombreux sont ceux qui voient en lui un pionnier, qui a ouvert ce corpus et ces traditions aux grandes influences internationales. A partir des années 1990 et de sa pièce “À la recherche de Omar Khayyam en passant par les croisades”, Abou Salem interroge explicitement dans son art la rencontre et les heurts des civilisations européennes et arabes. Capable aussi bien de diriger en Hébreu la pièce “La Secte blanche” de l’israélien Doron Tavory au Théâtre de Haïfa, que de varier autour du thème de Gilgamesh, un “opéra mésopotamien”, sur la musique du Turc Kudsi Erguner (2003), ou de proposer une mise en scène marquante de “L’Enlèvement au Sérail de Mozart” dirigé par Minkowski au Festival de Salzburg (1997). Également réalisateur, notamment du film “Pain et sel” et d’un documentaire sur Jérusalem, François Abou Salem restera gravé dans les esprits, seul en scène dans sa version de « Une mémoire pour l’oubli », un des rares textes en prose du grand auteur palestinien Mahmoud Darwich. Celui-ci y qui dresse un constat désespérée, et termine ce texte écrit pendant l’intervention militaire d’Israël au Liban de 1982 par ces mots “Je en vois que le naufrage” (voir la vidéo).

Disparu prématurément – et s’étant probablement suicidé – au début de ce mois, six mois après le décès du comédien palestinien et fondateur du Free Theater de Jénine, Juliano Mer Khamis, François Abou Salem est regretté et pleuré en Palestine, mais pas seulement. En France, le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand a rendu hommage à celui qui “n’aura eu de cesse de défendre,
avec un courage vraiment admirable, le difficile langage de la vérité et de la paix”. Dans son bel article sur Rue 89, le journaliste Pierre Haski a souligné combien la page facebook de l’homme de théâtre défunt était remplie de témoignage internationaux exprimant à la fois surprise et tristesse.

photo : source, nessma.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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