Théâtre
Au Vieux-Colombier, un Musset pas badin

Au Vieux-Colombier, un Musset pas badin

15 May 2011 | PAR Christophe Candoni

Yves Beaunesne avait monté un incandescent Partage de midi avec Marina Hands pour la Comédie-Française en 2007, il revient travailler avec la troupe, au Vieux-Colombier cette fois, sur la sublime pièce de Musset On ne badine pas avec l’amour. Sa lecture, épurée de tous les clichés romantiques, et l’éblouissante distribution réunie font de ce spectacle un merveilleux moment. Au côté de comédiens plus anciens, dont le sociétaire honoraire Roland Bertin, un Maître, Julie-Marie Parmentier, Suliane Brahim et Loïc Corbery forment un trio séduisant et très glamour. Ils font entendre intensément les tourments de l’amour naissant aussitôt contrarié et les dévastations de la passion.

“On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui”. Ces mots prononcés par Perdican font partie des plus belles pages du théâtre français. Grâce à la fine et éclairante mise en scène que réalise Yves Beaunesne, on entend un Musset jamais caricatural, aucunement sucré ni mièvre, véritablement tragique et poignant sans être lourdement assombri. Beaunesne est attentif au texte tout en s’autorisant quelques aménagements pertinents (le rôle du chœur est ici distribué aux différents personnages, et la pièce de 1834 est élégamment transposée dans le France des années 50-60). Il se trouve à l’écoute des situations dont il extrait un propos pas seulement sentimentaliste mais libertaire, révolté contre l’autorité, la rigidité des meurs et l’endoctrinement religieux, désillusionné et cruel sur la vie amoureuse.

Perdican vient d’atteindre sa majorité, il est reçu docteur à Paris, et rentre chez les siens après dix ans d’absence. Camille, sa cousine, sort du meilleur couvent, toute jeune fille en fleur qu’elle est, et revient elle aussi au pays. Ils sont attendus en vue de célébrer leur union. Mais Camille entend se faire none et refuse malgré elle les avances du jeune fougueux piqué au vif. Le royaume décati du vieux baron est ici une arrière salle commune aux murs décolorés, un intérieur défraîchi qui fait office de lieu de rencontre ; tous s’y retrouvent pour boire un coup ou jouer au billard. Roland Bertin fait un baron tout en rondeur et en jovialité, avec une distance ironique irrésistible. Les soiffards Bridaine et Blazius sont campés par Pierre Vial et Christian Blanc, la sévère et morale Dame Pluche est tenue par Danièle Lebrun de retour au Français pour notre plus grand plaisir. Ils sont fins et amusants.

Pour son premier grand rôle à la Comédie-Française, Julie-Marie Parmentier est exactement le personnage, cette « glorieuse fleur de sagesse et de dévotion », si douce, droite et inflexible, tellement sensible et tiraillée, l’âme brûlante dans son corps de marbre, elle joue magnifiquement. Loïc Corbery, est un jeune premier idéal chez Molière et Corneille car jamais lisse et plein de vie en scène. Il confère une fois encore à son personnage une agilité et une épaisseur toujours précises et formidables. Tour à tour, fier, obstiné, joueur malicieux et bondissant. Sa palette est riche. Il est aussi sombrement nostalgique, enveloppé de la moiteur d’une atmosphère nocturne, de la fumée évanescente des cigarettes, enivré d’alcool et de jeu, si seul, brutal, désespéré. Ils ont la beauté, la jeunesse, la violence intérieure des héros qu’ils incarnent. Leur corps à corps est profondément cruel et déchirant. Dans des lumières parfois trop obscures, on assiste à une tragédie, celle d’une passion exécutée par l’orgueil et l’inconscience de la jeunesse. Ils en sont coupables malgré eux et Rosette (Suliane Brahim légère et charmeuse) en est la malheureuse victime. Yves Beaunesne guide les acteurs dans cette direction, Camille et Perdican s’aiment depuis toujours et se perdent, s’abiment à ce jeu dangereux. Sur le plateau crépusculaire, la table de billard, qui figure aussi bien une table de café que la fontaine du jardin, devient l’autel des amants sacrifiés qui s’étreignent pudiquement, leur peau se touche, leurs doigts s’entremêlent lentement et le drame advient. Ils apparaissent défaits, ravagés. C’est bouleversant.

 

 

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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