Jean-Pierre Darroussin dans Une banale histoire de Tchekhov
Marc Dugain est romancier, célèbre pour son livre La Chambre des Officiers. C’est à notre connaissance sa première mise en scène au théâtre mais il s’est déjà essayé à la direction d’acteurs en ayant réalisé un de ses propres textes pour la télévision. Au théâtre de l’atelier, il donne son adaptation d’une nouvelle de Tchekhov avec Jean-Pierre Darroussin dans le premier rôle.
A la faible lumière d’une bougie, on découvre Jean-Pierre Darroussin, la silhouette fine, légèrement recroquevillée, la barbe longue, poivre et sel, des petites lunettes sur le nez et le crâne dégarni. A 58 ans, l’acteur n’a pas encore tout à fait l’âge du rôle mais réalise une composition intéressante de ce vieil homme, médecin insurpassable, grand professeur respecté, qui pense en avoir fini avec la vie. Insomniaque et préoccupé, l’humeur aussi sombre que la forêt peinte en arrière-plan, il fouille dans son âme « comme un archéologue ». L’acteur impose une fermeté naturelle mêlée à une certaine malignité joueuse comme dans la scène où il reçoit le jeune étudiant chez lui. On regrette quand même un manque de ruptures et de variations dans son jeu. Malgré sa suffisance et son intransigeance, son conservatisme qui le rend sinistre mais fait bien rire la salle, il paraît attachant et diablement intelligent. Quel beau personnage.
Le principal reproche qu’on pourrait faire à ce travail sobre, cohérent, plutôt conventionnel, en tout cas de facture très classique, osons dire vieillotte, c’est cette difficulté à trouver en dehors du respect porté au texte un espace d’imagination et de liberté suffisant. La mise en scène, bien qu’appliquée, manque d’invention et paraît trop raide. L’œuvre d’origine n’est pas un texte dramatique. Marc Dugain propose d’en faire une pièce. Soit, mais pourquoi alors ne pas avoir davantage dialogué le texte et offert une partition plus équilibrée aux personnages qui existent autour du professeur. De nombreux et longs monologues finissent par devenir encombrants voir gênants au moment de les mettre en scène. Dugain plante son acteur à l’avant-scène s’adressant au public ce qui n’est pas une solution satisfaisante. Le texte profond reste porteur et mis en espace avec une grande précaution mais on ne retrouve pas toujours la force du poids des mots. Comme lorsque l’homme se trouve face à sa pupille, la belle Katia, Alice Carel, blonde tentatrice, celle qui l’invite à tout quitter, à rompre avec sa famille et à prendre la fuite. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas froid aux yeux, pour l’époque, remuant ainsi dans les brancards, refusant les conventions. Mais cela ne peut pas fonctionner quand, comme ici, elle apparaît aussi sage, levant le petit doigt pour boire le thé. L’actrice possède tous les atouts pour jouer le rôle, sa beauté froide et son mystère, mais devrait faire l’effet d’un ouragan, on en est loin ! Les autres acteurs de la distribution sont tout à fait en place, Gabrielle Forest est une femme à l’autorité sèche, plus pragmatique, Michel Bompoil et Adrien Bretet sont très bien à chacune de leurs apparitions.
A ne pas manquer, juste avant “Une banale histoire” : Romain Duris dans “La nuit juste avant les forêts” à 19h au Théâtre de l’atelier.