Musique
Souvenirs de visages et de corps au Louvre avec Patrice Chéreau

Souvenirs de visages et de corps au Louvre avec Patrice Chéreau

10 December 2010 | PAR Christophe Candoni

A l’occasion de la reprise de Rêve d’automne au Théâtre de la ville, on revient sur l’immanquable carte blanche de Patrice Chéreau invité au Louvre depuis le 2 novembre. De nombreuses rencontres, des projections, des spectacles, des concerts, une exposition, et autant de moments bouleversants qui retracent la carrière de l’artiste, un parcours parfait. Chéreau réalisateur, metteur en scène de théâtre et d’opéra, n’a pas pensé cet évènement comme une simple commémoration. Pas question pour lui de regarder seulement en arrière, de revisiter son œuvre comme un monument.  Il s’y prête volontiers, toujours présent et accueillant. Mais il n’envisage pas le Louvre comme un musée, plutôt comme un lieu de création en mouvement, un lieu qu’il investit avec vitalité et génie. Il y convie sa famille d’artistes autour d’un projet fou, riche et unique, absolument réussi.

S’il choisit de donner pour nom à sa carte blanche « des visages et des corps » c’est pour remettre à l’ouvrage la matière-même de son travail, sa manière de penser le théâtre, l’acte de mettre en scène et la direction d’acteur. Parce que pour Chéreau, le corps en mouvement est porteur de sens, il contient une force d’expression rare, non pas réaliste mais vraie car il est la traduction, la matérialisation d’une intériorité enfouie qui se dévoile. « La recherche du sens des mots doit se traduire dans l’espace et le lieu entre le mot et l’espace, c’est l’acteur » déclare-t-il.

Patrice Chéreau connaît bien le Louvre et sa collection, il s’y promenait avec son père qui était peintre lorsqu’il était enfant. Sa maman était dessinatrice. A travers l’exposition qu’il a montée en salle Restout et les œuvres qu’il a choisies de présenter à cette occasion, Chéreau livre beaucoup de lui-même. D’abords en révélant ses nombreuses sources d’inspiration : des tableaux de maître, des photographies, et ensuite parce qu’il laisse entrouvertes les portes de son atelier d’artisan dans une partie intitulée « Derrière les images ». Dans un petit couloir parallèle sont présentés des articles de presse découpés, des croquis, des dessins, des plans de décors signés de lui-même ou de son scénographe Richard Peduzzi qui évoquent son univers.

Apparemment pas soucieux d’ordonner rigoureusement les choses, en suivant la chronologie par exemple, c’est plutôt une construction sensible qu’il élabore, un parcours singulier et subjectif dans lequel il relie les œuvres à ses propres émotions et dévoile ses goûts esthétiques.

Beaucoup de chair, de nudité, des visages et des corps, douloureux,  celui d’un martyr transpercé ou le visage décharné du portrait de Bacon, transgressif ou scandaleux tel L’Origine du monde de Courbet, la photographie d’un éphèbe dénudé, s’affichant sans pudeur devant l’objectif de Nan Goldin, une exhibition revendicatrice et insolente de la beauté totale de la jeunesse et d’une époque révolue, qui entre particulièrement en résonance avec les films de Chéreau, de Ceux qui m’aiment prendront le train à L’Homme blessé.

C’est par un système d’échos, de résonances qu’on découvre l’exposition et les pièces que Chéreau montent au Louvre. L’étreinte de Picasso annonce ou rappelle la rencontre des deux amants dans le cimetière de Rêve d’automne qui se laissent aller au désir, avec une intuition sauvage, presqu’animale. Une pièce d’un érotisme doux et subversif dans laquelle l’attraction et la répulsion des corps, le désir comprimé qui tout d’un coup est lâché, deviennent porteurs de vie comme de mort. Pascal Gregorry, fatigué, hagard qui se couche au sol, rejoint par Valeria Bruni Tedeschi, silhouette gracile, jambes nues, sous un léger manteau, elle vient à pas feutrés se coucher fortuitement derrière lui. Une image qui restera gravée comme l’errance silencieuse de Michel Marquet avançant en chemise de nuit au devant du public, parcourant les écriteaux des tableaux du Louvre comme elle lirait les épitaphes des tombes. Elle porte un bouquet de fleurs qu’elle mord pour réprimer un sanglot.

Un autre corps, un visage marquant, et surtout une voix, celle de Waltraude Meier qui nous embarque, nous guide vers la lumière à l’occasion d’un concert déambulant dans les galeries italiennes et espagnoles du Louvre. Elle interprète les Wesendonck Lieder de Richard Wagner. Des pianos sont disséminés dans les coins des salles que nous traversons. Chéreau permet une proximité que n’offre aucune salle d’opéra et c’est magique. La mezzo-soprano apparaît perdue et intrigante, absolument habitée, touchant la folie. Elle se glisse dans la foule debout, traverse et chante en cherchant notre regard, touchant les gens. Elle nous est étrangère, on ne connaît rien de son histoire, et en même temps nous semble familière : sous son long manteau, la longue robe qu’elle portait en scène pour incarner l’inoubliable Isolde de Wagner à la Scala de Milan en 2007. Elle en est la réminiscence au Louvre.

« Les visages et les corps » jusqu’au 31 janvier 2011 au Louvre.

Rêve d’automne au Théâtre de la ville jusqu’à fin janvier 2011.

La Nuit juste avant les forêts, à partir du 19 janvier 2011 au Théâtre de l’Atelier.

 

 

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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