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Pologne 1840-1918: peindre l’âme d’une nation, au Louvre-Lens

Pologne 1840-1918: peindre l’âme d’une nation, au Louvre-Lens

30 September 2019 | PAR Lise Lefebvre

A l’occasion du centenaire de la convention entre la France et la Pologne, marquant le début d’une immigration massive, le Louvre-Lens dévoile le cœur d’une histoire tourmentée.

Inclus dans un paysage que bordent les terrils et les chevalements, traces désormais patrimoniales du bassin minier du Pas-de-Calais, le musée du Louvre-Lens assume jusqu’au bout le lieu et son contexte, en rattachant sa nouvelle exposition au passé social de la région. En 1919, alors que la Pologne venait de recouvrer son indépendance, fut prévue et réglementée, par la convention du 3 septembre, l’arrivée massive d’immigrés polonais en France, et principalement dans le Nord du pays, dévasté par la première guerre mondiale. Cent ans plus tard, la Pologne reste une composante essentielle dans la vie culturelle et sociale de la région.

Portant le regard sur l’histoire, souvent ignorée, de ce peuple et de cette nation, l’exposition est aussi le résultat d’une collaboration entre commissaires français et polonais, et l’occasion unique de voir des oeuvres incontournables, venues des musées de Varsovie et Cracovie. Au cœur du sujet, la vision par les artistes du devenir de leur Pologne, rayée de la carte dès 1795, et depuis élevée jusqu’au mythe ; cette vaste perspective est complétée par une variété de sujets et de formes, pour certains peintres comme Jan Matejko ou Jacek Malczewski, qui explore la singularité de leur inspiration. La chronologie de l’exposition démarre en 1840, après une nouvelle partition du pays et l’exil d’une grande partie du peuple vers l’Allemagne—la « Grande Emigration »–, mais aussi entre les deux insurrections de 1830 et 1863, suites logiques de ce nouveau déchirement.

Au fil de la visite apparaissent également l’importance et la complexité des relations entre la France et la Pologne ; après 1830, nombreux furent les artistes polonais à partir pour la France, s’y former, y être exposés, y vivre. À Paris, une « petite Pologne » commença d’exister, autour de Chopin, autre exilé notable, et de poètes comme Adam Mickiewicz. Une aquarelle de Teofil Kwiatkowski, Un Bal à l’hôtel Lambert, montre le compositeur au piano. George Sand fait partie des invités ; pendant ce temps, dans la salle du musée, résonne la Polonaise héroïque

C’est que, dans cette identité culturelle polonaise—ou polonité—tout se tient ; l’inspiration des peintres est constamment nourrie de la poésie de leur pays, et l’engagement politique peut se concrétiser ailleurs que par la création artistique. C’est l’exemple d’Ignacy Paderewski, dont le portrait et les œuvres n’ont pas été oubliées dans l’exposition ; compositeur, il fut aussi, à partir de 1919, premier ministre d’une Pologne qu’il avait aidée à redevenir indépendante.

Un contexte historique complexe et mouvementé que l’exposition sait prendre en compte, mais en déployant une scénographie élégante, aérée, qui permet de s’y retrouver dans les différents thèmes et péripéties, sans rien perdre de la richesse de l’information.

Dès les premières salles, un constat s’impose : la vision des différents peintres et l’impact des violences de l’histoire sont le plus souvent indissociables. Qu’il s’agisse de déplorer le partage de la Pologne en 1795 (le monumental Reytan de Jan Matejko), d’exalter la patrie perdue sous une forme allégorique ou par le biais d’une scène historique, ou encore de peindre la douleur muette d’un couple de paysans en deuil, l’affirmation d’une identité culturelle partagée est là.

Cette âme commune, on la retrouve dans les salles consacrées à la diversité culturelle du pays—très bel affichage « à l’ancienne », sur un mur que recouvrent autoportraits, ouvriers en grève saisis sur le vif ou sobre évocation de la prière juive—et aux paysages, la passion des poètes, peintres et artisans pour le monde paysan restant, par-delà les modes artistiques, un élément essentiel de l’imaginaire polonais.

Mais c’est surtout la multiplicité des inspirations qui frappe, au sortir de la dernière salle ; entre l’oiseau solitaire planant à la japonaise au dessus d’un paysage enneigé, les sources folkloriques, le mariage étonnant d’un certain réalisme avec la relecture des mythes locaux, ou la pure fantasmagorie, ce sont autant de personnalités singulières qui s’expriment et nous invitent à partager leur histoire.

C’est ainsi qu’on trouvera chez Jacek Malczewki, à la fois un puissant imaginaire nourri de mythologie, dans Eloe et Ellenai par exemple, mais aussi un réalisme glaçant, comme dans cet autoportrait en jeune garçon (Ma vie), dans la maison de son oncle où des manteaux d’officiers allemands, à l’arrière-plan, recouvrent tout un pan de mur, présence menaçante dans sa banalité même.

En sortant de l’exposition, un détour par le pavillon de verre s’impose ; les photos de Kasimir Zgorecki, mineur devenu photographe à Rouvroy, y évoquent avec tendresse et simplicité les « petites Polognes » du Pas-de-Calais minier. Devant leur coron, les pieds touchant au potager, ou sur le seuil d’une boucherie polonaise, ou encore dans le studio du photographe, les familles, les enfants, les anonymes, parlent d’un quotidien toujours bien présent, et qui suscite l’émotion à coup sûr.

La Pologne 1840-1918: peindre l’image d’une nation, du 25 septembre 2019 au 20 janvier 2020.

Kasimir Zgorecki, photographier la petite Pologne, 1924-1939.

Renseignements pratiques sur le site officiel du musée: www.louvrelens.fr

 

Crédits visuels © Jan Matejko, La Chute de la Pologne (Reytan), 1866  © the Royal Castle in Warsaw / Photo Andrzej Ring, Lech Sandzewicz 1866

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Lise Lefebvre

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