Théâtre
Les Chiens de Navarre viennent débusquer l’identité nationale « Jusque dans vos bras »…  et ça éclabousse !

Les Chiens de Navarre viennent débusquer l’identité nationale « Jusque dans vos bras »… et ça éclabousse !

27 April 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Les Chiens de Navarre sont à la MC 93 Bobigny jusqu’au 29 avril avec leur spectacle Jusque dans vos bras. Jouant sur un humour tantôt très potache et tantôt très grinçant, la proposition est construite comme une expérience de jeu en direct, avec une large part donnée à l’improvisation et au débordement des cadres du théâtre classique. Le résultat est réjouissant au premier degré, mais l’ambition de faire un état des lieux de la psyché d’une société française un peu déboussolée, au filtre de l’ironie, ne sera pas vraiment réalisée au final. A voir, pour l’audace, l’énergie et les éclats de rire.

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Les Chiens de Navarre reviennent en Île-de-France, à la MC93, avec leur pièce Jusque dans vos bras, présentée aux Bouffes du Nord fin 2017. Le collectif a la réputation d’être l’un des plus explosifs, des plus audacieux, des plus déjantés de la scène française. Et, de fait, on rit souvent, les comédiens osent beaucoup et poussent très loin, et on comprend très vite que tout peut arriver pendant les 1h45 que dure le spectacle.

Scénographie de choc: pour l’occasion, la scène de la MC93 a été recouverte de vrai gazon. Quatre machines à fumée entretiennent un brouillard épais. Un lampadaire est planté à cour. Cela n’empêchera pas de considérer le plateau comme une mer à traverser pour un zodiac rempli de migrants, ou comme le salon d’un couple aisé, à l’aide de quelques canapés et d’une bibliothèque.

Sans cesse, le public est ramené à se rappeler de la convention théâtrale, avec des changements de décor à vue, ou des commentaires des comédiens adressés à la salle, critiquant tout ce qui leur passe sous la main : le nom des personnages, les costumes, les décors, le public lui-même, le lieu… Sans cesse, le théâtre déborde du plateau, ça joue dans les escaliers, le public est sollicité et mis en jeu à son tour… Rien qui ne soit complètement nouveau : on est là dans les codes d’un théâtre qui se veut iconoclaste et subversif, imprévisible et incontrôlable.

Dans ce décor s’enchaîne une succession de saynètes, qui sont autant de galeries de personnages plutôt savoureux, et de radioscopies d’une société française qui a perdu sa boussole. Le fil conducteur du spectacle, c’est l’identité française, et le détournement de quelques-unes de ses grandes figures (mention spéciale pour un Obélix psychanalysé et absolument délectable). La méthode, c’est le rire, la pagaille, l’ironie, et une bonne dose d’improvisation. Et ça marche : dans un va-et-vient constant entre le sérieux et le poignant (un peu) d’une part, et le délire potache qui pousse l’ironie aux confins des situations les plus borderlines (souvent), on rit abondamment. Majoritairement d’un rire réflexif, parfois presque gêné, qui naît un peu de la réalisation de l’absurdité de certaines de nos postures. Mais également d’un rire de connivence, quand on croit pouvoir s’autoriser à rire des postures qu’on assigne aux autres. C’est foutraque, réjouissant, grinçant, et, comme toute satire sociale ou politique, ça peut faire du bien.

Les comédiens, dans cet exercice, sont globalement convaincants. On sent qu’ils ont de la bouteille en la matière. On sent aussi qu’ils s’amusent. Céline Fuhrer est particulièrement juste, et exagère les travers de ses personnages avec une finesse qui les rend extrêmement vraisemblables et véritablement touchants. Alexandre Steiger, nouveau venu dans la troupe, révèle une belle intensité et un grand potentiel dans l’improvisation et dans la connerie, au sens clownesque. Dans le reste de la distribution, aucune sortie de route. On voyage entre bobos et boubours (même si on se moque surtout des premiers, marque d’une autodérision poussée?), migrants clairvoyants et officiers OFPRA en burn-out, spationautes empotés et nudistes décomplexés, avec des featuring de Marie-Antoinette, de Brahim de Gaulle, de Jeanne d’Arc, ou encore, comme mentionné plus haut, d’Obélix. Sans compter l’intrusion d’un taureau qui charge le public, et du requin le plus attachant de l’histoire du théâtre.

On est tout de même gêné aux entournures. Tant que le rire est potache, zizi dans un sandwich ou caca qui flotte dans l’espace, difficile de commenter tant que la dose reste homéopathique. Se moquer du public fait partie des codes de ce genre de spectacle, et celui-ci est plus ou moins consentant. Mais l’abus d’ironie grinçante peut finir par être fatal. Surtout quand il s’agit d’ironiser sur la figure – caricaturale et largement fantasmée, puisqu’on est dans un théâtre d’archétypes – d’une sorte de bobo bien-pensant, en prétendant prendre une distance, alors même que le second degré est précisément l’un des marqueurs même de ceux que l’on montre du doigt. N’est pas Desproges qui veut !

Au-delà, on ne sait trop que penser du propos, et, en fait, on ressort avec l’impression qu’il n’y en a peut-être pas. Le thème est clair : qui sont-ils, à quoi se raccrochent-ils, ceux qui se disent ou se veulent Français ? Mais, finalement, à partir dans tous les sens et à tout dynamiter, le spectacle ne résout rien : le message serait-il qu’il n’y a aucune vérité en la matière, que chaque définition est à la fois bonne et mauvaise, que tout le monde est déboussolé et que tous les mythes fondateurs ne sont que des chimères ? En prenant un peu de recul, que l’humour et l’auto-dérision signalent le mieux « l’esprit français » ? Ce serait un peu court. Et il serait absurde de prétendre tirer une leçon de la mise en scène de personnages caricaturaux, globalement toujours puisés dans la même frange de la société – jeunes, plutôt blancs, urbains, éduqués, plus ou moins « de gauche ». Au final, on a le sentiment que le spectacle s’attaque à un sujet trop vaste et complexe pour le traitement employé.

Reste des scènes absolument géniales, et des personnages mémorables. La scène d’exposition, qui démarre comme un coup de poing dans le ventre et finit dans le délire le plus total, est une réussite à elle seule. Le pape noir qui chante du Johnny Halliday. Jaja la pucelle encore fumante du bûcher qui compte bien se trouver enfin un compagnon. Et des improvisations d’anthologie.

Il serait dommage de bouder cette grande tranche de délire décomplexé et inventif. Tant qu’on est conscient que l’exercice a ses limites.

Jusqu’au 29 avril à la MC 93 Bobigny.

Mise en scène Chiens de Navarre / Jean-Christophe Meurisse

Avec Caroline Binder, Céline Fuhrer, Matthias Jacquin, Charlotte Laemmel, Athaya Mokonzi, Cédric Moreau, Pascal Sangla, Alexandre Steiger, Brahim Takioullah, Maxence Tual, Adèle Zouane

Collaboration artistique Amélie Philippe

Régie générale et création lumières Stéphane Lebaleur

Création et régie son Isabelle Fuchs

Régie son Jean-François Thomelin

Régie plateau et construction Flavien Renaudon

Décors François Gauthier-Lafaye

Création costumes Elisabeth Cerqueira

Visuels: (c) P. Lebruman et Y. Gloaguen

Infos pratiques

Théâtre Saint-Léon
Corderie Royale
Minel-A

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