Cinema

Inception, constructions omniprésentes et rêves verrouillés

29 July 2010 | PAR Olivia Leboyer

Leonardo di Caprio pénètre par effraction dans les esprits en sommeil, pour voler les rêves. Sorte de mercenaire, il se livre à l’espionnage dans la capitainerie d’industrie, transmettant ainsi à ses clients les secrets de la concurrence. Sa nouvelle mission diffère, puisque cette fois il lui faut, non pas dérober, mais implanter une idée dans la tête d’un dormeur.

Curieusement, ce film sur le monde intérieur est très intelligible, presque trop. On nous explique clairement qui est en train de dormir, quel but poursuivent Leonardo et son équipe, et à quel niveau de subconscient ils se situent. De façon symptomatique, la place laissée à la fantaisie, à l’imagination est très réduite. Les rêves de Dom Cobb (Leonardo) défilent à toute vitesse, essentiellement encombrés de voitures, de trains, de courses-poursuites et de fusillades. On assiste, d’un bout du monde à l’autre, à une traque sans relâche, qui plaira aux amateurs du genre mais qui peut également ennuyer. Si l’on change de décors, le rêve charrie en effet toujours la même obsession de la course-poursuite à travers des labyrinthes toujours plus élaborés.

Le réalisateur, Christopher Nolan (“Memento”, les deux derniers “Batman” ), a écrit seul le scénario, qu’il médite depuis dix ans. Il s’agit bien, pour lui, de nous faire pénétrer dans ses dédales personnels. Que voit-on ? Des immeubles, des gratte-ciels, des rues qui bougent toutes seules, des miroirs pivotants, des escaliers, encore des couloirs, des marches et des ascenseurs. Les rêves de Nolan sont manifestement des rêves d’architecte, habité par l’espace et les multiples possibilités de l’arpenter, de le mesurer. Au milieu de toutes ses constructions, Leonardo di Caprio campe un père, hanté par sa femme morte (Marion Cotillard, très jolie et juste, mais dont les apparitions sont malheureusement soulignées par une chanson d’Edith Piaf) et par le désir de retrouver ses enfants, dont la garde lui a été retirée. Tendu, le visage crispé, il court comme un fou dans tous les esprits des industriels qu’il parvient à droguer, minutant soigneusement ses incursions crâniennes. Significativement, il n’opère pas seul, mais s’interconnecte avec une petite bande de spécialistes (notamment Joseph Gordon-Lewitt et Ellen Page). Comme si lui-même ne pouvait plus rêver que comme ça. Un personnage pose d’ailleurs abruptement à di Caprio la question « Vous, Mister Cobb, vous arrivez encore à rêver ? », qu’il laisse sans réponse. Depuis la mort de sa femme, il fuit son image, tout en la nourrissant secrètement. Comme une sorte de drogue, il descend ses escaliers intérieurs, pour retrouver une Marion Cotillard très pugnace, qui cherche à le convaincre qu’il se trompe de niveau de réalité.

Leonardo-Cobb rêve de constructions, de labyrinthes (au plus fort de l’action, il prend le temps de nous révéler ses préférences en matière d’architecture, passion qu’il partageait avec sa femme !), mais c’est également le cas des autres personnages. Le puissant héritier (Cillian Murphy, très bien) rêve justement, lui aussi, de poursuites, de mitraillettes et de gratte-ciels. L’uniformité des mondes intérieurs est frappante, et sans doute délibérée. Nolan nous présente ici des esprits en alerte, perpétuellement sur le qui-vive, habitués à mettre en place le plus vite possible des mécanismes de défense très forts. De véritables armes de dissuasion massive, pourrait-on dire. On entre dans des cerveaux récalcitrants, verrouillés comme des coffres-forts. Au plus intime, on trouve, finalement, une scène de résolution assez niaise et convenue. On peut trouver plus fascinants les univers oniriques de David Lynch (“Lost Highway”, “Mullholand Drive”), de Michel Gondry (“Eternal Sunshine of the spotless mind”), de Spike Jonze (“Dans la peau de John Malkovich”) ou de Martin Scorsese (“Shutter Island“, avec le même Leonardo di Caprio).
Mais l’expérience est à tenter : Qui sait, Nolan parvient peut-être, comme le montre le film, à implanter subrepticement ses visions architecturales dans le subconscient des spectateurs ?

Inception, de Christopher Nolan, avec Leonardo Di Caprio, Joseph Gordon-Lewitt, Ellen Page, Marion Cotillard, USA, 2h28, Sortie le 21 juillet 2010

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

5 thoughts on “Inception, constructions omniprésentes et rêves verrouillés”

Commentaire(s)

  • Angous

    La chanson d’edith piaf était dans le script bien avant que nolan prenne Cotillard…

    July 29, 2010 at 1 h 38 min

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